mercredi 26 juin 2019

Faut pas Sancerre

Ma route est noyée d'orages. Il pleut en cataracte. Je vais à Bourges, oeil de mon cyclone.
Je suis heureuse d'y retourner maintenant. J'y viens en coup de vent trois ans après.
Le club était mon arche, je n'y passais que deux fois dans la semaine il est vrai, mais ces 2 heures toujours, arrachées à la piste, éloignaient tout le reste. 
Sinistre année d'une vie entre deux, les pieds dans la vie d'avant et l'âme entière dans une existence à reconstruire entièrement.
Chez moi c'était dehors. Ma maison ne faisait que semblant. Tenir. Pour les enfants. 
Juin est arrivé en arc dans mon ciel bientôt dégagé. Le 28 je partais pour Lyon. Ma nouvelle vie.
Sancerre fut ma dernière course. Et le club presque entier y était. Il faisait un temps radieux. Je me souviens de chaque détail, et pourtant, je ne l'ai jamais raconté. 
Je n'ai pas couru. J'ai déferlé en torrent de gratitude.
L'horizon ruisselle, mes essuies-glace paniquent et les camions que je double m'envoient des geysers. Je suis branchée sur Iyeoka Okoawo. Black coffee. Et je jubile.
Je vais encore courir Sancerre.
Il est difficile de revenir sur une course. La première version est épinglée au coeur. Je me revois, nous y allions entre amis. Plaisanteries sur la route et blague avec Laurent, le brillant, photographe sur la course et j'arrive toute légère sur l'arche du départ et je n'ai d'ambition que de savourer à plein cette dernière.
Aujourd'hui c'est pareil. La soirée fut amicale et le matin aussi. Je n'ai rien préparé mais je sors de Sarra, et je me dis que certes, je n'ai pas trop bossé, mais que cette expérience suffira à me servir sur les 35 km et quelques 1000 de dénivelé, un rien, une boutade, 3h30 à tout casser et encore, si je suis fatiguée !
Les minutes avant le départ sont un festival. Je ne cesse de rencontrer le monde ami ou connaissance ; comment ça va Sophie, et comme une fille qui revient au pays je m'anime et m'enchante d'un bonjour et d'un salut, j'embrasse à la volée et je ne me fais pas prier pour m'aligner juste devant et quand le chant du grand départ pousse un peu plus les décibels un rayon de soleil vient chauffer les visages.
Etonnante Sancerre. C'est un petit joyaux, bien plus humble que sa jumelle Vézelay à moins de cent kilomètres plus à l'est mais tout aussi charmante et riche de son sol. De sa terre rocailleuse nait un vin onctueux. Le Sancerre ne cesse de se bonifier et l'âme ici vient des Hommes. La tour des Fiefs en haut du piton veille depuis plus de cinq siècles sur les maisons basses qui abritent les caves et sur un tapis de collines bleues quadrillées de céladon. On le dirait presque plat le Sancerrois. Des ondulations à peine et la Loire qui fait déborder son lit calcaire loin jusqu'au pied des vignes. De la haut on se dit que les quelques bosses seront vite passées et que la promenade sera fluide et aisée.
Il faut courir Sancerre pour comprendre la rudesse des pays de la vigne. Il y fait ruste et soif, et c'est absurde pourtant, mais de cette aridité là nait un vin généreux et fruité. 
En cette après-midi j'ai la tête à la fête. Après la course il y aura le repas partagé. Le ballon de Caillottes sur bouchée de Chavignol les amis retrouvés, trois années à se raconter. Et le buffet en soirée qui promet d'être dansant joyeux et animé. 
Je ne perçois pas ma fatigue cumulée et je ne vois pas non plus le relief mouvementé. La pierre en silex torpille les appuis. Sur certains versants, Sancerre est un contraste, le chemin de grillottes, cette pierre presque friable trace des lignes calcaires entre les serments bas et poudre la chaussure et assèche la gorge. Entre deux mamelons le chemin coule dans un sillon boisé. Il retient toute la pluie tombée dans la semaine et si la vigne est sèche à s'en déshydrater, la forêt retient l'ombre et dans la venelle la terre épaisse et grasse enrobe les chaussures.
Je fatigue très vite. Et je ne comprends pas. Je pensais être en forme et je ne le suis pas.
Dans la tête ça bataille. Moi qui était si crâne. Je ne cesse de comparer, et qu'il est difficile de se revoir là, précisément et trois ans avant, si légère et frondeuse. Je n'avais rien vu pourtant. Les sourires c'est tout et ce nombre incalculable d'encouragements et d'ovations. Je revis mon premier Sancerre, cette incroyable course sous un soleil de plomb et une lumière tranchante. Une course à la vie, un don, une signature. Courir à ce moment là voulait dire je vous aime. Vous. Tous, les amis du club, vous qui m'avez portée. Je me revois à dix kilomètres de course, réaliser que je suis troisième. Me faire doubler dans la rocaille, dépasser sur la première pente, perdre à nouveau, doubler encore. Courir au podium. Je crois qu'il faut le vivre pour comprendre combien c'est exaltant. Vingt kilomètres de batailles. Pierraille, montées harassantes ne pas s'arrêter courir toujours, et le souffle derrière qui pousse et c'est un jeu, contourner le piton, percevoir la clameur. Sancerre s'époumone et sous la lumière floue d'une fin de journée de grosse chaleur en 3 heures 40 de poursuite harassante, arracher sur le fil une inespérée troisième place.
Comment ne pas penser. Je force la foulée et me fatigue plus. J'ai envie d'arrêter et je me sens minable. Je suis partie devant et bien évidement, les amis doublent et ça rafale d'encouragements mous de boutades amicales bon sang qu'est-ce-que je fais là !?
Je prends mon temps sur le ravitaillement. Il m'en faudrait bien peu pour que je reste là. Mais l'ambiance est joyeuse et ils sont merveilleux. Sancerre est un festival, le pays entier coopère et comme au carnaval ils sont tous déguisés et chantent et s'époumonent juste pour nous célébrer.
Alors c'est décidé. Je prends mon temps c'est tout. Je laisse passer la fronde et je regarde la foule. J'encourage à mon tour, j'avance par saccades. Je cours si j'ai envie et je parle et rigole. Parfois je force un peu, parce que c'est un plaisir mais j'analyse un à un les atouts de cette course, des gens qui la composent et puis des paysages.
La lumière est sublime. Un camaïeu d'orage habille les collines et les blés sont bleus entre les sarments de vigne. Un rayon de soleil perce parfois les nuages et auréole d'or un coteau tout entier. La pierre entre les vignes se poudre d'étincelles et les rangées d'échalas miroitent en rangs serrés.
Je marche sur les pentes et une gentille dame me lance allègrement Bravo bravo madame, vous êtes au moins vingtième ! Je rigole et remercie, si tu savais madame ! Mille fois oui merci, pour votre bonne humeur elle est si transmissive !
L'émotion me reprend dans la difficile pente. Celle du casse cou qui monte au village. Je les entends. Eric, Valérie et Muriel. Ils m'attendent bien-sûr. Ils me lisent à coeur ouvert ces amis là et savent que je suis déçue. L'émotion comme souvent fait venir la crise et je dois me fermer pour faire passer l'asthme qui m'oppresse et m'asphyxie. Je suis habituée maintenant. Ce n'est plus une surprise ; à la moindre émotion, liée à un effort long, je suis comme un poisson qu'on balance sur la grève, j'expire la bouche ouverte.
J'étais trop fatiguée j'étais trop trop fatiguée. Je me cherche une excuse mais je n'étais pas prête c'est tout. Eric me réconforte, il a raison c'est vrai, on ne peut pas toujours courir chez les premiers.
Sur l'esplanade en fête on remet les trophées. Bravo bravo les têtes ! Et moi j'y reviendrai, je ne vais pas m'en faire !
On prend un verre de vin servi avec le chèvre et on récupère chacun une bouteille.
Si certains coureurs repartent, nous avons réservé une entrée au buffet servi pour les coureurs et pour les proches. Le concept est extra et le repas est bon servi bien entendu de Sancerre à volonté ! Il y a trois ans je me rappelle j'étais abasourdie, totalement assommée par la lutte du jour et par le grand soleil pris en plein la figure. Mais tout cela est passé et je suis là pour rire. Le jour se prolonge très tard dans la nuit par une grande tablée, certains de mes amis et beaucoup de vin, c'est vrai, et presque autant d'heures à danser et chanter que de temps dépensé sur ces rudes sentiers.
10 minutes de fanfaronnade avant la grosse douche :)
Trail de Sancerre
Magnum
Juin 2016 : 35 km 1200 D+ 3h45 / 3 eme F
juin 2019 : 35 km 1000 D+ 3h 55 / 19 eme F

Merci Merci Valérie pour ton accueil et ta précieuse amitié !

Equipement Terre de Running 
Chaussures Peregrin Iso Saucony (en promo actuellement sur TDR)

Prochain objectif - que je vais travailler un peu plus à la faveur de l'été... 
100 km de Millau
A suivre courant juillet sur Terre de runners (clic)



mercredi 12 juin 2019

Terre de runneuse

Ils m'ont d'abord fait monter sur un tapis.
Chez Terre de running. Sur un truc de feignasse indoor.
Moi. Courir sur un tapis. La seule image que j'avais de cette bécane à foulée artificielle c'est celle visionnée dans le bêtisier du best of du web avec le mec qui se fait catapulter pile au moment où la pépée peroxydée du club occupe son champ de vision.
Je fais des manières, je rigole un peu non mais je dis je sais pas courir sur ce truc mais je me laisse séduire par un détail.
La camera. Focus sur les pieds.
Sauf que avant il y a la balance. Pardon. La Feetbox.
Qui te calcule le QI de tes orteils le galbe de tes hanches la densité de tes mollets.
Et. La mesure du pied. Des pieds. Si comme moi tu es dissymétrique. Cerveau droit -intuitive emphatique spontanée curieuse et motivée, manque total de logique, sein plus lourd, pied plus long. Raccord au caractère. Rien à signaler.
Et aussi la posture. Je peux donc vous annoncer que je pèse autant du pied droit que du pied gauche que mes jambes sont alignées et que mon ongle du gros orteil gauche n'a toujours pas été retrouvé.
Il n'empêche. Je suis bluffée. Précis. Efficace. En un coup d'oeil je mesure ma posture. Universelle. Zéro originalité. Conformisme quantifié.
La toute première fois que j'ai couru, il y a bientôt 8 ans maintenant, j'avais pioché au hasard une chaussure moyenne gamme de la tête de gondole de l'hyper. Je me souviens y avoir glissé la puce - la grosse puce du genre à avoir gobé un boulard - de chez NiKeplus et puis comme ça me faisait une tubérosité des plus contrariantes sous le pied, avoir creusé une béance à l'Opinel dans la semelle pour y reloger l'intrus électro-Nike. La fois d'après j'ai acheté tout exprès la chaussure avec le trou tout fait. Autant dire que amorti supination pronation c'était du Serbo-Croate dans le texte.
N'empêche qu'on a couru, ma puce et moi, notre premier marathon dans le flow. Tout le long.
Je me dis après-coup que j'ai eu de la chance. J'ai acheté ensuite des chaussures chez un pro, parce que ça faisait sérieux. Ma première paire sérieuse était sérieuse mais lourde. Un jour un gars de passage me dit tu sais tes chaussures sérieuses elle sont lourdes. Si tu prends des chaussures sérieuses mais légères tu vas gagner deux minutes par chaussure au marathon.
Vendu. C'est là que j'ai basculé athlétos je crois.
Les nouvelles chaussures étaient légères, ça oui...j'ai fait 321 bornes avec avant de me vriller les lombaires. J'ai trouvé que ça faisait cher la passe à Boulogne tout de même.
La paire suivante je l'ai prise parce-qu'elle était d'un joli bleu et très bien soldée. Ce qui ne gâche en rien le joli bleu. Et il se trouve que j'y étais bien et que longtemps après j'y étais encore bien. La semelle s'est délitée à plus de mille bornes, bien avant mes lombaires et j'ai décidé que nous étions faites l'une pour l'autre.
Autant dire que la Feetbox je lui ai trouvé un air de rivale pas très fiable au début. Je lui ai dit au gars. Mes routières et moi-même on est les deux orteils des doigts de la main. 
Il a pas insisté. Il a dit okay, elles sont faites pour toi. C'est prouvé. N'empêche. Il m'a fallu 5 paires foireuses pour arriver à trouver mon amorti-soeur mon gars. Feetbox moi même.
Donc lui et sa boite. En cinq secondes. Ils me sortent pile la bonne chaussure. 
J'avoue. Efficace.
C'est là qu'arrive le tapis. Avec sa caméra embarquée. Celle-là même que j'avais remarquée.
C'était quand même facile le coup de la routière. Je dis trouve-moi des chaussures de trails. J'expose le cahier des charges : tenue, grip, amorti, dynamisme, aérée aérienne et assortie à mon vernis. 
J'ai dû me montrer un peu pontifiante. Je monte sur le bazar et il me dit comme ça sans préliminaire : médio-pied. Va falloir bosser.
Bim. Autoconfrontation. Video, analyse, restitution, conclusion. Ça triche pas.
En un temps aussi concis que celui qu'il m'a fallu pour boucler ma première danse sur les 12 heures de la Sarra (clic) le gars m'analyse de pied en cape (c'est comme une analyse tout partout des orteils à la tête mais en wonder rapide) et pond 3 boites de grolles idéales. 
Profil accrocheur, mesh élégant, souple, dynamique.
La chaussure. Pas le gars - faut voir à faire connaissance ( ça c'est le concept buddybox - Hey, un truc à creuser ! Fermez la parenthèse )
Il me fait tout de même le grand déballage. Je me laisse séduire. Je les veux toutes.
En trail c'est simple. J'ai toujours couru avec la même chaussure. Enfin, le reconduit. Parce-que j'avais gagné une paire sur une course, alors après j'ai réitéré. Mais je n'ai jamais été totalement satisfaite. Du moment que l'accroche est bonne, je m'en contente. Je m'y prends toujours à la dernière minute, du coup je ne prends pas de risque. Une semelle qui accroche. Critère numéro un. Mais qui ne dérape pas sur portion de bitume. Critère numéro deux. Etroite mais pas contraignante. Critère numéro trois.
Je débagoule mes histoires de chemin ; ce que veux courir, ce que j'imagine courir ce que je cours vraiment. On palabre on soupèse j'essaie.
Le discours est franc direct. Le gars sait ce qu'il vend et pourquoi il choisit un modèle et pas un autre. C'est ciblé, analysé, prouvé. Les seules décisions que je dois prendre se portent sur la couleur (assortie au vernis, tu suis) et sur l'aisance que je m'accorde (pour préserver l'ongle de l'orteil droit que je n'ai pas encore égaré. Tu suis.)
Je cours depuis 8 ans. Jamais je n'avais pris de temps pour l'analyse de ma foulée. Pour me poser les bonnes questions sur ce que devait être une bonne chaussure pour moi. J'ai eu beaucoup de chance de ne jamais me blesser. Il se trouve que je suis légère et que j'ai une foulée naturelle équilibrée. Ce n'est pas le cas de tout le monde. Les magasins Terre de Running sont tous équipés de la technologie Feetbox et d'un tapis de course dédié à l'analyse complète de la foulée. Un matériel de pointe livré avec le conseiller ad-hoc. Et dans le doute, pas de panique, la communauté Terre de running organise très régulièrement des tests matériel et chaussures. 
Plus d'excuse.

Terre de running (clic)
N'hésitez-pas à vous rapprocher de l'un des 22 magasins pour y demander conseils et plannings des tests et entrainements. All free !





 

Les élues : Peregrine iso. Saucony
Test sur le terrain. Sancerre. Magnum. J moins 2.
Terre de running de copains et de bon vin :) 






vendredi 24 mai 2019

Sublime Sarra. 12 heures. Je t'aime moi non plus.

Elle arrive. La crise d’asthme. En pleine pente. Je suffoque et j’arrête. Cédric est là. J’ai tourné cinq heures. Sans heurt sans doute, aucun, avec un objectif précis : courir. Vraiment. Jusqu’à ne plus pouvoir.
« And turning out the light
I must have yawned and cuddled up for yet another night
And rattling on the roof I must have heard the sound of rain
The day before you came »
J’ai mis le casque. Cela ne m’arrive jamais sur une course. J’avais besoin de fermer le dedans.
Pour sortir dans la zone du dehors. L’inconfort.
Respire. Mais je panique. Je crois que le monde accélère. Cette fille là, au corsage clair, elle a fait deux boucles pendant que je m’asphyxiais. Et elle, une fusée ! 
En regardant mes statistiques j’ai bien vu que ça n’avait duré que deux minutes. A peine. Mais là dans la pente, c’est le village entier de la Sarra que je crois voir débouler et je reste plantée, comme une quille à ressasser invariablement à Cédric que je ne sais plus respirer.
Il me dit tu sais quoi tu marches. Je t’attends là haut, après les escaliers.
J’ai allumé mon téléphone. J’ai ouvert au hasard la bibliothèque iTune.
The day before you came
Et en bas de de Lange dans la volée d’escalier, en réduisant la voilure, j’ai repris un rythme que je n’ai plus jamais quitté.
L’ultra boucle. Rendez-vous incontournable de la fin mai du tout running lyonnais. Tellement intense l’an dernier !
Je m’inscris sur le nouveau format. Douze heures. Chi va piano va sano.
Ma dernière course remonte à octobre. Dévoluy. Déluge Alpin. Et puis plus rien. Un trail urbain, sur le fil, pour accompagner ma chère Valérie. Je trottine au parc deux à trois fois dans la semaine, et je monte des marches, Soulary, pentes de la Croix-Rousse. Aujourd’hui je me dis, j’en monte quatre ! Non, six, il me reste un peu de temps. Je coince de courtes séances entre mes ordinaires et ne m’engage jamais bien loin. Mon exotisme c’est la montée du Greillon. Isolée et tranquille. Elle est en outre assez courte pour pouvoir être gravie à un rythme un peu soutenu. Je monte peu à la Sarra. Je lui réserve mes débordements mes colères mes frustrations mes doutes et mes béatitudes. En boucle.
Au sommet de la bute, jubile. Heureuse d’être là au coeur du festival. Parle avec le monde, ça sourit, encourage les vingt-quatre heures ces forçats de la boucle, plaisante avec les filles, facile je dis, au pire on ralentit, on arrivera toujours. Je suis rassurée c’est vrai. Je n’ai pas l’impression de partir en expédition. L’arrivée n’est qu’à deux kilomètres du départ au fond. Simple. Alors je papillonne hurle des vivats, trépigne, m’époumone. Ça fait rigoler Arthur, le grand ordonnateur. J’ai trimé tout l’hiver, et là dans ce printemps fatigué de brumaille j’ai les abatis fébriles et ma bonne humeur en cage ne cherche qu’à s’exprimer.
Il ne grisaille que du ciel. Le reste est Technicolor. Mon compagnon ma prunelle, mon si patient attentif est de la fête. Je te préviens je dis. Souvent se plaint Sophie, bien fol est qui s’y fie. C’est de grand-père le visionnaire. Il dort juste derrière, dans les allées ordonnées de Loyasse. Et puis je le préviens aussi, combien je peux être changeante, emportée presque fulgurante et puis en un éclat défaitiste et à la peine. Je lui raconte comment il m’arrive d’embrasser et le monde et la vue, les rayons du soleil le ravissement du jour, le reflet d’une façade sur l’asphalte mouillée, un chat dans la gouttière un dessin sur la pierre, et comment d’une pensée tout cela peut passer, de lumière à ténèbres et en sombres pensées.
Je suis compétitrice et on ne se refait pas. J’aime me frotter à ma seule volonté mais c’est sans aucune arme, vierge de solide entrainement que je me cogne parfois à plus gros que raison.
Je ricoche et cavale dans la première descente et puis je garde l’accord. Ma recette est rodée, à chaque boucle son arrêt. Eau, fruit et sans trainer, tapis rouge et dévers. Boucle looping attaque et raidillon. Hisse et eau et recommence. Je babille par ci bonjour-merci par là give me five complimente et me laisse encourager. Enhardie à chaque passage par un orchestre tapageur de staff concurrents famille et passants mélangés je ne mesure pas mon allure et ma semelle bat la cadence en écho métronome de mon humeur : radieuse et optimiste.
Comme l’an dernier je ne compte pas les boucles. Je me contente de courir. Mais au micro régulièrement on m’annonce en tête. Je plaisante d’ailleurs, à la faveur d’un ajustement de chaussettes, avec le speaker en lui confiant que de ma petite existence de coureuse j’ai il est vrai, parfois accroché des podiums, mais que jamais de la première marche je n’ai eu de faveur. Cédric à chaque tour veille. Parfois au ravito, et puis sur la passerelle, plus tard dans l’escalier et après dans la pente, je ne sais jamais où je vais le trouver. Il est attentif à mes moindres désirs et cette bienveillance est un joli cadeau, pour moi qui ai plutôt tendance à courir en solo.
Ils montent l’arche du départ juste au pied de la rampe. Dans une heure les six heures viendront se mêler à la danse et c’est là, en descente en pensant à hier, à ces six heures de vrilles considérées déjà comme un morceau de bravoure, que je réalise alors tout ce qu’il me reste à faire.
Je suffoque et j’arrête.
Le temps d’un soupir et d’un grincement de dents, souvent se plaint Sophie bien fol est qui s’y fie.
Focus. Respire. Musique. Et je monte.
Les six heures sont lancés, je ne les ai pas vu partir. Oh bien-sûr il y a le monde. Ça grouille et ça respire et puis j’entends les rires et je les vois passer et petit à petit loin derrière mes chansons je perçois les éclats de fête et de ferveur que ce tout nouveau monde parsème à la volée sur les deux kilomètres de mon chemin de ronde. Cette liesse me fait du bien, je sors de ma torpeur. Et puis sur les tablées là haut, ils ont servi des kiwis et des mangues et bon sang que c’est bon, il suffisait de peu ! Je laisse les écouteurs et je reparle un peu. Photo dans l’escalier clin d’oeil au photographe, et puis là dans l’entrée de Nicolas de Lange il y a Nathalie et elle reste longtemps, un passage et un autre et puis encore un autre et elle est tout sourire avec sa tignasse de lionne à lancer des hourras et des éloges solaires. Je reprends de ma verve bien-sûr avec réserve c’est que je cours toujours et que l’envie est forte de m’arrêter longtemps devant les tréteaux garnis ou en haut de la piste, tiens, juste là un transat et puis c’est si fantasque que ce doit être bien drôle de rester au spectacle !
Si l’an dernier j’observais les relais, je suis impressionnée aujourd’hui par les vingt-quatre heures. Il y la jolie brune à la visière, Joelle. Elle picore une assiette de pâtes en descente, toujours sourire et en passant elle encourage. Et puis lui le sympathique au chapeau claque. Il a un mot à chaque passage, le courtois gentilhomme, on le croirait au théâtre, mais quatre-vingt boucles, cela ne s’improvise pas. Et cet athlétique gaillard je ne le vois plus passer ? Il a abandonné me renseigne Cédric ça commence à tonner là haut sur l’esplanade, les trop précipités commencent à déchanter.
Les familles sont là malgré le temps changeant. Et puis il y a monsieur, vous savez, le de Lange, il a le parapluie accroché à son col et aujourd’hui c’est fête il descend jusqu’au fleuve.
A force de tourner je reconnais les têtes. J’encourage à mon tour et à l’approche du soir je suis bouleversée par les forçats du tour. A plus de vingt heures de course certains trottent encore. L’extraordinaire ici c’est que tout le monde rayonne. Du premier bénévole au dernier des coureurs, pas une seule grimace, la Sarra c’est inouï est une communion dans la blague et l’effort. C’est la magie de la boucle, elle pousse dans la pente dans le même mouvement les coureurs très pressés et ceux qui prennent le temps. En regardant le monde, le chronomètre décompte et moi de regarder ma montre et vous allez dire c’est bête, d’y lire huit heures et jubile parce qu’à l’instant je suis persuadée que c’est l’heure et qu’il n’en reste que trois…Arrêtée au buffet je ne mesure plus bien mais non me dit Cédric huit heure c’est le temps de course mais ne regarde pas, continue à ton rythme tu es une lumière, continue ma Sophie, tu es extraordinaire et c’est fou comme je doute et malgré les foulées qui ne faiblissent pas le ciel un peu plus bas fait rejaillir mes craintes. Et pourtant je m’accroche. Depuis le début de course je caracole en tête je suis un satellite et dessine une orbite tracée de mille marches de pavés et d’arène et puis de tapis rouge et à chaque passage, de vivats et de rires et des regards confiants de mon cher Cédric.
La nuit doucement s’avance, à moins que ce ne soit l’orage. La ville en bas clignote et le monde au côté ouvre les parapluies. Les bénévoles dans l’escalier sortent les loupiotes, je les perçois à peine fixée sur mon ouvrage et les minutes s’égrainent et à vingt et une heure je commence à penser que je serai première. J’ahane mes montées, bras en balancier métronome dans la tête, regard planté au sol. A deux heures de la fin j’enclenche un compte à rebours mon objectif alors ne jamais m’arrêter. Imperceptiblement je remonte l’allure, d’un rien, de deux minutes gagnées sur une boucle et puis dans un brouillard j’entends toujours les voix, elles parlent d’inspiration, de courage de bravoure, précieuses, réconfortantes, elles me mèneront au bout.
Je ne vois pas le monde massé dans l’escalier, j’entends qu’il y a liesse et puis je vois les flammes de tous les lumignons qui jalonnent la montée. J’ai chaussé ma frontale et je fixe le cercle et je ne pense plus je suis vide d’émotion ou peut-être à l’inverse, tout est tellement confus, habitée d’un grand calme comme si c’était normal et pourtant si reconnaissante d’être toujours en marche à l’issue de ce jour vraiment incomparable. 
Dans le trente-neuvième tour il me reste trente minutes. Dans la tête ça bataille. Je l’ai ma première marche. Le reste est pour la gloire. Je peux m’arrêter là mais ce serait bien facile. Le contrat c’était simple, courir sans s’arrêter. Douze heures et pas moins et c’est pharamineux, car à ce moment là c’est la tête qui ordonne courir et non pas jusqu’à ne plus pouvoir, courir jusqu’au contrat, que les jambes veuillent ou non. Alors je continue et pour passer encore je pousse un peu l’allure et à onze heure moins cinq je m’engouffre encore dans la terrible pente pour une ultime charge !
Dernière. L’oeil bleu sur le côté, le sein dans la montée, je t’aime sur le pavé, un bras levé en vaut dix croisés. Monte. Mes sens sont en éveil. Il pleut mais c’est égal. En haut des quatre-vents je regarde la ville. Lyon ma si généreuse, berceau de ma nouvelle vie. Les faisceaux de lumière embrasent l’esplanade, et c’est d’abord le coeur en battant un peu plus qui distingue le triomphe.
Je rentre dans l’arène débordante d’allégresse et sur le tapis rouge au milieu de la foule la tête entre les mains je hurle de bonheur.



Merci encore et infiniment à Lyon Ultra Run et aux sublimes bénévoles.
Merci à Johan et à Laurent, merveilleux photographes
Merci à Joelle à Matthieu à Séverine et à toutes les voix anonymes qui m’ont portées.
Merci ma Nath ! Et toi Eric !
Merci mon Cédric
Bravo à tous les coureurs !
Les vingt-quatre heures vous êtes des punaises de machines !

41 boucles. 83,64 kilomètres. 3800 D+
1 ère F
7 ème au scratch



Retrouvez mes premiers récits de courses sur le blog runningphilosophie avec le 2018 format 6heures ici.


mercredi 17 octobre 2018

Cap en cimes

Il était écrit que dans un sens comme dans l’autre, je passerais seule et sous une pluie furieuse d’orage le col du Rabou. Gris.
Je perçois mieux les reliefs que cet été cela dit. Je vois le ravin, disons. Et le vide à ma gauche.
Fin août il est vrai, j’avais été un peu légère. Je voulais prendre la vie un peu de haut. Comme un petit caprice de fin d’été avant de me jeter dans une course folle de commun des jours d’éphéméride rude.
J’avais endossé une dizaine de kilo. Un duvet un sursac beaucoup d’eau quelques graines des bananes. Régime sec. A presque quatorze heures parce que je traine et qu’il fait beau je m’ébranle sur le chemin. Sifflote admire respire. Le temps de me perdre le long du ruisseau la brume opacifie l’espace. Mon point de chute n’est plus. Il est envahi de tonnerre et les roulements sourds d’un ogre qu’on dérange déboulent et tambourinent sur ma grêle carcasse.
Alors je monte la tête basse. Stoïque sous les trombes je n’ai qu’un objectif : arriver au plus vite à ce petit chalet que j’ai vu sur la carte et qui est bien nommé, la cabane de l’âne bourrique que je suis !
Au quatrième kilomètre la course passe devant l’abri. Je souris à ce joli souvenir d’été. La nuit déjà tombée et trempée jusqu’à l’os, je n’ai vu âme qui vive sous cette sombre trotte. A peine le patou qui guide le troupeau et le berger plus loin qui aboie sur du rien, pour occuper l’espace et puis on se demande, du maître ou bien du chien qui est le plus sagace.
Je ploie sous mon fardeau en entrant dans le gîte et bouscule un jeune couple prêt à passer la nuit. Blottis sous les étoiles que le crépuscule rose d’une revanche éclatante allume une à une sous un décor sublime de montagnes brûlantes de tout le feu du ciel tombé dans la journée ils m’accueillent d’un sourire.
Je songe en y passant à la roche safran, le ciel carné, les trainées de diamant et aux reflets argent et au silence enfin au silence surtout dont nous nous emplissons la tête avant de refermer sur nous la porte du cabanon son foyer les couchettes au mur des noms gravés et sur la grosse table une soupe épaisse qu'ils ont préparée et des tranches de pain et puis entre nos mains un jeu de cartes cornées et au milieu des cimes nous bâtissons le soir de musique et de rire de tabac à rouler de lampées de potage et d’un vrac d’idées, amitié éphémère pour une éternité.
Je grimpe le pâturage. Herbe jaune, pas un bruit. Les marmottes se terrent elles qui font tant de bruit ! Au matin il faut entendre ! C’est insensé de comique on se croirait aux Halles quand en fin de nuit arrosée les forts déballent sur les comptoirs crasses la gratinée d’oignons et haranguent les filles de sifflements grossiers. Et ça se tient debout toisant le marcheur du regard, la moustache importune semblant dire à l’intruse et oh toi, ôte toi dis donc c’est notre territoire !
La terre est grasse il n’y a rien à voir. Le nez dans le chemin il faut monter c’est tout. Je chaperonne la chaussure crottée du voisin et puis d’un coup plus rien, le brouillard a mangé le devant le côté et je ne vérifie pas si le derrière y est. Je bascule du dévers avec le vide à gauche mais je suis maintenant bien et je dévale seule le tout petit chemin un peu dangereux peut-être parce que je ne vois rien et qu’il tombe des cordes et puis que je suis seule encore et que c’était écrit.
Je rejoins une coureuse au passage du torrent elle tente d’éviter l’eau quand j’y plonge gaillardement. Elle me rattrape plus loin et nous trottons ensemble, elle devant moi derrière, sur le sentier des Bans. Je refais à l’envers ma course de l’été et si la trace est grandiose, creusée dans les strates rocheuses, il faut redoubler d’attention pour ne pas basculer dans la gorge. Le chemin taillé dans la pierre dégringole d’un flot brun, la falaise précipite un ciel monocorde sous mes semelles molles. Il pleut et cela ne cesse pas il pleut et je force le pas.
Le village est joli. J’y avais pris mon temps, la fontaine et l’église et les chalets alpins, fleuris dans tous les coins et cette vue grandiose sur la montagne Ceüse qu’un essaim de nuages saturés de ténèbres précipite dans la nuit d’une journée sans teint.
Le ravitaillement du village recueille les abandons. Il fait bigrement froid et dire qu’hier encore je passais la journée à explorer Grenoble et puis le soir à Gap attablée en terrasse je partageais un verre avec deux bonnes amies. Il fait froid et je laisse les relais se refaire une santé. Le flot continu détrempe la carcasse et une terre bien grasse enrobe les godasses. J’ai retrouvé du monde mais le peloton se disperse, de loin en loin je retrouve des groupes nous sommes des résistants et sous des capes de pluie ou parfois même tête nue les pisteurs ruisselants semblent se résigner.
De la suite de la trace je ne devine rien. Je ne connais plus l’endroit et je n’ai de repère que le nom de Charance de son pic de son roc et de la fameuse montée attaquée depuis le Correo qui promet d’être raide et un peu éreintante. La forêt est gluante elle suinte de gras mais le ciel s’est tu il cesse de pleuvoir et l’ascension s’amorce sur une vague éclaircie mais toute l’eau tombée forme de grandes flaques et sur les raidillons la prairie écorchée s’arrache en mottes charnues qui bernent la chaussure. Le bâton cherche un socle une entaille un peu sûre mais patine bien souvent sur une glaise fourbe et je cale mon souffle sur cette montée raide plaçant avec soin le pied dans des encoches et j’évite au plus juste les pièges du chemin. Quand je lève la tête embruinée de crachin je perçois une trouée sur la ville de Gap, le gris accumulé laisse passer un phare et dans la déchirure la plaine est à nos pieds. Je rabaisse les yeux pour ne pas déraper et l’image collée au fond de la rétine me fait comme un Turner accroché à son mat. La tête me tourne un peu quand j’arrive au sommet. Je réalise alors que je n’ai pas mangé. Il y a Hélène au loin sous sa toile de tente qui ouvre grand les bras et qui nous encourage. Je suis émue faut dire que j’ai pour habitude de crapahuter seule et les amis qui viennent souvent se greffent au coeur et le reste de la course prend une autre saveur. Le regain de ferveur ne dure pas bien longtemps j’ai une faim constante et je me sens chancelante, je marche d’un bon pas et cours dans les descentes mais j’ai l’allure atone et je dérape maintes fois dans les sous-bois obscurs oubliant la prudence quand mon seul objectif est d’arriver bien vite à la table garnie la dernière de la course avant la redescende. Au tournant d’un chemin la cène me ravit et plantée sur des guiboles crottées jusqu’à la cuisse je bois jusqu'à la lie, me gave de bananes et de chocolat noir. Hélène est revenue par je ne sais quel détour et elle m’emboite le pas pour arriver en ville. La course a décidé de supprimer la fin. Nous ne gravirons pas le pic de Gleize rendu impraticable par les intempéries. Je suis toute contente bien qu’assez éprouvée et je pense que douze bornes ce n’est pas bien méchant puisque c’est en descente qu’on trotte principalement. Je prends de l’assurance me retournant parfois pour voir qui me talonne et causer à Hélène. C’est dans un chemin creux parsemé de pierraille que la semelle accroche et que de tout mon long je mange le terrain. Je réfléchis deux secondes inspecte mes genoux le souffle un peu coupé je reprends mes esprits et rassure Hélène. D’un coup d’oeil je lui signifie que c’est bon, elle récupère mes bâtons valdingués dans le flanc, alors nous repartons. Mais le jeu n’y est plus. Il reste quatre kilomètres j’ai la jambe qui flageole et mon genou piteux se dérobe sous l’appui et puis sur mes épaules j’ai comme un poids terrible fabriqué de fatigue de peur en contre coup et puis de toute cette eau prise en plein la figure de cette vue grandiose que j'ai si peu perçue et de cette impression qui l’air de rien me blesse que je n’ai plus le temps de m’entrainer vraiment et que je me souviens de quand j’étais devant. Hélène est à coté et elle m’encourage. Elle sait ce que je peux ce que j’ai traversé alors je lui adresse un sourire un peu terne mais il veut tout dire et je suis toute heureuse infiniment portée pleine de gratitude pour cette faculté de pouvoir courir autant, sept huit heures peut-être sous un déluge glacé et arriver comme si de toute cette journée je n’étais que passée du coeur des montagnes à mon point d’arrivée sans subir, sans être lasse effleurée tout au plus d’un voile de pensées et d'amour pour mes proches que je laisse un peu parfois sur le côté pour m’offrir ce luxe d’air et d’humanité.


Gapencimes Edelweiss solo 47 km 2400 D+ 7h40
Merci aux bénévoles qui sont loin d'être en sucre
Merci sweety Cédric et à Hélène et à Julie !
Le genou est Ok, la cuisse se teint de bleu. C'est joli. Et puis tiens, le coude aussi :)

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Vallée et refuge du Vallon d'âne un soir d'aout après l'orage. Dévoluy

vendredi 1 juin 2018

Ultravagante Sarabande 6 heures solo sur la Sarra

Je les entends. Ils hurlent tous dans l’escalier et j’accélère un peu pour participer au plus vite à la fête. Sur la boucle précédente déjà, les bénévoles donnaient de la voix. Il est 22h 30, grand final en approche. Je pousse sur les pavés, cette portion là, juste avant la montée, est très légèrement descendante. J’arrive à l’angle. Une rafale de hurlantes m’encourage et je m’engouffre. Les vivats éclatent, ils sont alignés. Tous, ceux qui ont veillé, qui à chaque virage, à chaque difficulté, radieux de sourire, éclatant de prévenance ont porté nos foulées, chacun à leur tour animant nos efforts, tous, en ligne, comme à la parade bariolée de tapage à grand renforts de bravos et de raffut potache, nous portent vers le haut et un ultime ahan.
J’avais répété un peu mes gammes. Le corps va bien, la tête avance. Confiante dans mes projets, je prends parfois des claques, j’avance de deux pas et recule d’une foulée, mais j’avance enfin, et comme en amour, j’ai le corps branché à la tête et l’ensemble est gourmand. Je rêve de hauteur, de vraie, de monts de hargne de montagne de gagne, je rêve de verdure de roche de verticalité. J’irai peut-être en août, mais aujourd’hui je suis vissée, et ici, tu sais, dans ce Lyon merveilleux, quand on ouvre bien les yeux, on en trouve des sommets.
La Sarra. Il faut être Lyonnais. Objet d’histoires en vrac, mystifiée ou banalisée, elle rebute autant qu’elle attire, elle fait rire les grimpeurs, les vrais, les grands traileurs, et puis quand on arrive au pied de la grande côte et qu’on te lance goguenard allez, mon gars, hisse, on fait beaucoup moins le coq, et au coup de cul du centre, là où le chemin qui trace et qui en plein milieu fait une fourbe fissure, on se retrouve pantelant et puis nettement moins sûr ! Et puis à la descente on se dit l’inverse, roule, tête en avant, ruée dans le penchant ! Ça passe, une fois, deux fois, allez, je te l’accorde, ça va passer trois fois, et puis sans le voir venir on y dépose un muscle, deux genoux et la hanche, et avec un peu de chance, on n’y dépose rien, qu’un ongle de l’orteil droit.
Pour une première je suis très raisonnable. J’ai choisi le 6 heures. Et puis j’ai envie de courir. Cela me semble jouable. Je ne suis pas athlète mais j’ai reçu des claques, et quelques belles leçons, et puis parfois aussi, de jolies récompenses, alors je me connais, et j’annonce 22 boucles, je sais que je les aurai, quitte à chauffer un peu, mais je sais aussi, et c’est une exigence, que je me laisserai porter, sans contrainte et sans crainte. Je ne surveillerai ni le temps, ni ma place, je courrai et c’est tout, profitant de l’ambiance qu’on dit survoltée exaltant les coureurs, solo ou en relais.
En empruntant pour la première fois de la journée la montée Nicolas de Lange, vers le parc des hauteurs, je croise des coureurs du 24 heures. Il fait une chaleur écrasante mais les hauts murs font de l’ombre. Je les encourage ces laborieux, et je leur dis combien ils méritent tout mon respect. Ils ont traversé la nuit, le petit matin embrumé de fatigue et le soleil plombant du midi. Ils tournent, tournent lourdement, et pourtant je les envie d’avoir tant de volonté et autant de force pour tenir si longtemps. Il ne s’agit pas de puissance, ni même de vitesse, il faut s’enfermer, tenir, ne plus penser et passer dans cette zone intrigante dans laquelle la tête anesthésiant le corps, récupère tout contrôle. Je double une petite brune, cloitrée dans sa mécanique. Casque sur les oreilles, elle ne présente aucun signe de fatigue. On dirait qu’elle tourne au ralenti et son visage impassible traduit une facilité dans l’effort qui s’oppose crûment aux corps torturés d’autres compagnons de ce drôle de manège. J’apprendrai rapidement que cette femme de mine-de-rien du haut de sa désarmante simplicité, en une monstrueuse déflagration silencieuse, démonte tous les possibles et fait tomber d’une magistrale danse, tous les records établis sur la boucle, hommes et femmes confondus.
La base vie de la course installée sur le haut de la piste, fourmille de coureurs et tous les bénévoles et les organisateurs, reconnaissables à leur t-shirt jaune siglé s’affairent à leur poste ou hurlent de bon coeur pour haranguer la foule et faire monter l’ambiance avant notre départ.
L’envol des 6 heures se fait depuis le bas. Nous sommes nombreux sur la ligne, coureur solo ou en relais, et le départ en descente serait trop dangereux. Il faut de plus, et très rapidement étirer le troupeau pour éviter les chutes dans les épingles à cheveux.
J’appréhende un petit peu cette première grimpée, mais je piaffe déjà au côté d’un ami et nous plaisantons de bon coeur sur de loufoques prévisions, à savoir qui de l’un ou de l’autre montera le premier. Les familles sont là, installées dans la pente, et tous les relayeurs qui passeront après. La sonorisation fait grimper les clairons et c’est à 17 heures que les chevaux sont lâchés.
Je cours bien entendu, moi qui m’étais promise de rester sage le temps de prendre mon rythme, mais c’est qu’on est porté, et atteindre la flamme, au milieu de la pente pour ensuite basculer du côté du dévers, est un jeu qui me plait.
6 heures. Le compte à rebours est lancé. Je m’applique à caler un rythme de croisière. Je ne veux pas marcher et dans les escaliers, comme à l’entrainement, respecter une cadence que je me suis fixée. C’est que je ne change pas, je me satisfais de régularité, bien sûr, quand l’heure avance, la hargne s’atrophie, mais à chaque passage, chaque difficulté, je calque une fréquence que je m’applique à tenir, c’est ma ligne de vie, un fil d’Ariane, une sorte de tempo qui remplace une musique et qui guide mes pas autant que mes pensées. Au fur et à mesure, l’exercice devient fluide et les jambes et la tête avançant de concert, je n’ai plus qu’à profiter des sons, des images, et du coeur de la fête. Ici sur cette boucle, ça foisonne de gens, ils sont tous dans un rôle, il y a les coureurs ça oui, ceux qui enchainent depuis une nuit et bientôt la journée, ils prennent le temps, courent très lentement, ou bien ils marchent et parfois ils trottinent et en les croisant toujours j’essaie de dire un mot, un encouragement une blague, enfin une petite phrase pour qu’ils sachent que je passe, mais que dans mon esprit, ce sont eux les vainqueurs. 
Et il y a les relais, ils passent en trombe ceux là, enfin, en tout cas les avions, ceux qui chassent le trône ! Plus tard dans la soirée, j’en dépasserai certains et ma foi c’est un peu crâneur j’avoue, mais j’en serai bien aise.
En fin d’après midi je croise aussi Monsieur. Oui je l’appelle Monsieur, vous savez, le de Lange, celui qui chaque jour appuyé sur ses cannes avec une volonté farouche parcourt la passerelle et puis de l’escalier descend une volée de marches puis remonte et parfois recommence. Et aujourd’hui c’est fête il a mis la chemise, elle est ciel comme mon jour et alors qu’il est ramassé sur ses pattes, je lui lance tout sourire « de toute la journée, monsieur soyez-en sûr, c’est vous notre champion ! » et je lui crie encore alors que je passe et il sourit et lance un petit signe d’entente.
Il y a les familles. Elles ont pris le siège étalé les nappages et tout le bardas de pique-nique. Les minots sont costumés, et les adultes aussi parfois. Certains gamins dévalent la pente avec papa ou dans les escaliers, en saut de jeune cabri ils sont là dans nos jambes à rire et à taper des mains give me five et encourage, il est tard et c’est fête, et puis c’est tout illuminé, comme un Noël en pleine chaleur.
Et puis il a vous merveilleux bénévoles. Je suis émue souvent de tout ce qu’ils donnent. Chaque course en a son lot mais ici, est-ce la boucle, à les revoir toujours, comme un disque rayé, où toutes les quinze minutes la piste recommence. Je ne sais pas quel artiste, quel génial symphoniste j’ai pu mettre sur écoute, mais mon électrophone tourne en boucle un Gloria et jamais je me lasse. Chaque virage, chaque bosse et chaque étape est un émerveillement. Ils sont là on plaisante, et je n’ai jamais été si pleine d’effort et d’enchantement en même temps.
A chaque tour je m’arrête. Il y a une table, pour nous spécialement. Les 6 heures, ceux qui n’ont pas le temps. Il y a un banc et jamais je ne l’envisage. J’arrive méthodiquement. La dame du comptoir me dit « dossard 49, mon année de naissance » et je lui réponds « oh chic, cela va me porter chance ! ». J’enfile un verre. D’eau de Coca ou de n’importe quoi. Et direction bassine, où je ne mollis pas. Je m’arrose amplement, qu’importe la transparence, de mon maillot tout blanc, je suis comme un blennie, je respire par la peau.
L’entrée sous les ola du village départ est un coup d’aiguillon chaque fois renouvelé. On foule le tapis rouge il mène jusqu’à la pente et tous, bénévoles, famille et puis les relayeurs, ils sont là à hurler, glorifiant de concert avec les haut-parleurs, en un souffle ou bien deux, avant de replonger on se sent ravivé, cible de toute gloire. Je le sais bien ça hurle, sur l’avant sur l’après, mais en passant, chaque fois, c’est comme si jamais je n’avais commencé et que c’était tout neuf, je suis une torpille et ça dure quoi, un rien, une fraction de seconde mais j’oublie ce que j’ai fait et je recommence la boucle d'après, vierge de tout effort. 
Il faut plonger d’abord. Si les premières fois la ruée est ludique, elle devient mordante et parfois même sadique. J’ai vu des 24 heures la descendre à l’envers, comme des Benjamin accrochés aux aiguilles et qui tentent vaillamment de grappiller du temps sur la déconfiture du corps et de l’esprit. Je tente des sauts de cabri et si les jambes vont bien, mes orteils crient traitrise à chaque bond que j’hasarde et aujourd’hui encore, sous une couche de verni je camoufle un ongle un peu traumatisé.
En arrivant au bas c’est une délivrance, on sait qu’il y a, quoi, 600 mètres de relance. Enfin, c’est ce que l’on pense. Première épingle à cheveux. Il y a toujours du monde, et puis c’est un bout de route avec cette petite bosse. Elle est toute petite, mais elle est assez raide, je l’attaque toujours sur la pointe des pieds et calée dans mon rythme jamais je ne la marche, appliquant la consigne, taguée sur le muret « un bras levé en vaut dix croisés ». Mon bras levé à moi c’est de ne pas marcher. Ensuite c’est le pavé, deux ou trois fois je cogne et je manque tomber, mais toujours je rattrape ce n’est pas le moment, et j’ai déjà donné sur une ancienne course, de finir écorchée !
Ça gueule un peu plus loin, c’est l’entrée de de Lange, le fameux escalier aux 560 marches. Clin-d’oeil bleu à l’entrée à gauche sur la façade et à chaque passage, les pisteurs m’encouragent. Sur la dernière boucle ils me lancent goguenards « on veut te voir encore » et je réponds « j’espère ! » Je pensais avoir le temps de deux boucles encore mais la barrière horaire rattrape mes ardeurs.
Pendant dix boucles je suis encore verte, et je monte l’échelle sur la pointe des pieds martelant la cadence et sans trop m’essouffler. J’opterai par la suite pour une marche rapide, deux mains sur les côtés balançant les épaules, droite gauche droite gauche, comme un balancier, et cette nouvelle méthode me permet de grimper, sans perdre le tempo tout en reposant les jambes et aussi le cardio. Sur tout le temps de la course je n’arriverai jamais à savoir où j’en suis, combien de fois je monte. Le secret de la boucle c’est de savoir fermer celle qu’on vient de passer pour aborder la nouvelle. Je retiens chaque passage, comme un acte isolé et je n’ai pas souvenir d’avoir une fois flanché. La première ascension différant des suivantes passant comme une fleur et puis les toutes dernières, lorsque la nuit tombée, les loupiotes éclairent en ligne, sur les côtés, cette grimpe de misère, cette file de miséreux, condamnés à la gloire, aux flammes et aux lauriers dont on nous pare la tête à coup de grands éclats, de vivat de fou-rire de blagues et de lumière.
Là-haut sur l’esplanade ça fait déjà la fête. De nombreux relayeurs ont terminé leur danse et aiguillonnent de hurlantes les copains de fortune. Les trois derniers passages se font sous stroboscopes et sur la piste ça dessine des rayons, des blancs des rouges des verts tandis que les enceintes crachent « we are the champions ».
Lorsque j’arrive enfin je n’ai aucune idée, de comment, de combien. Je suis juste heureuse et en me rajoutant au côté je triomphe et acclame ceux qui arrivent encore et je n’en vois pas un qui se montre renfrogné, ils sont tous hilares, transpirant de bonheur, quelque soit leur fait d’arme et quelque soit leur place.
Alors je prends une bière, je salue les copains, et puis merci merci, Emilie, et puis Arthur, et Bernard aussi, Nicolas, Stéphane, et j’en oublie, c’est sûr !
J’acclame le podium, celui du 24 heures. Et cette Claire, cataclysmique championne, si humble sur cette marche aux innombrables cycles.
J’ai la surprise alors, d’être appelée à mon tour, pour une seconde place sur l’épreuve des 6 heures. Forcement je jubile. J’ai fait mes 23 tours et ce qui me satisfait, avant même la distance, c’est de les avoir couru, sans jamais me lasser, de rester heure par heure, avant tout à la fête, de ne jamais douter, de ne jamais trainer. J’ai toujours profité, minute après seconde, riant de chaque blague, chaque sourire échangé, abordant comme une farce la chaleur, les pavés, le tangage indigeste de la grande passerelle et puis les marches chacune, comme si chaque obstacle enfilé comme des perles me faisait en ce jour un collier merveilleux moi qui suis parfois nouille pour la fête des mères.


Crédit photo Nicolas Blash pour Ultra run
Ultra boucle de la Sarra 6 heures solo
23 boucles
47 km
2420 D+
2 ème F 

15/122

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jeudi 10 mai 2018

Monsieur de Lange de la septième marche

Il y a le sein moulé velouté et laiteux. A portée de la main sur le côté. A droite dans la montée. Et l'oeil, juste avant. Rond et bleu. Tout grand ouvert dans les ténèbres. Défense à d'yeux d'entrer je pense. A chaque fois ! L'oeil bleu, c'est le début, j'avance cahin-caha . L'entrée de la grande côte. De Nicolas de Lange.
J'y monte régulièrement. Et je me traine. Je passe l'oeil et touche le sein. Plus haut dans un recoin un couple bien pressé me jette l'air amusé "mais peut-on être en paix ?!" je rigole et je lance que plus haut si ils veulent, il y a le jardin des soeurs et que peut être, sous la passerelle aux quatre vents, ils y seront tranquilles. A moins qu'on les observe, attention aux cornettes !
Et je me ho et je me hisse et je me traine. Il y a "je t'aime" d'une écriture déliée. Et puis ces quelques coeurs gravés dans le pavé. Un deux trois un deux trois, quand les marches sont basses c'est sur la pointe des pieds. Et puis le coq qui chante, qui est tout déréglé. J'aimerais bien lorgner derrière les murs bossus. C'est tout plein de verdure et de bâtisses cossues. Je lève le nez. Et je me traine.
En semaine ce sont des écoliers. Ils balancent des pétards et parfois des baisers. Ils détournent le regard quand ils se sentent épiés. Des gamines sautillent épuisant le grand-père qui s'arrête souffler sur chacun des paliers. Je dis bonjour, grenouille avec l'enfant et puis je baisse le nez pour ne pas trop trainer.
Quand les marches sont hautes il faut garder le rythme. Et c'est à cet endroit que les grands arbres plient et dans la canopée les oiseaux font leur nid.
Une jeune fille me hèle, sur la troisième plate-forme. "C'est juste là, le haut ?" elle a l'air épuisée. Mais oui mais oui tout proche. Je minimise un peu, juste un rien je lui dis : il reste plus de la moitié, voir même les trois quarts, j'ai menti rien qu'un peu c'est moche. Et elle se traine.
Les murs peinturlurés racontent des histoires. Il est nouveau c'ui là. Ça fait comme une BD. Et ce prénom tracé, ces petits mots oisifs et ces gros mots hâtifs à chaque étage qui se répondent. Les milles éclaboussures de bêtises colorées et fouillies font un heureux fourbi d'histoires sans queue ni tête et c'est bête, j'étais bien concentrée, et là. Qu'est ce que j'me traine.
Et les touristes aussi. L'air un peu effrayé. Ils sont rares ceux qui s'y aventurent, dans cette grande montée. La dernière fois clic-clac, un bellâtre m'a prise. J'avais ma jupette je sais, j'étais focalisée. Et là j'ai pas trainé.
Et les autres coureurs. Les pressés les athlètes et ceux qui aimeraient bien monter tout ça d'une traite. Alors j'augmente le rythme et je fais mine d'être bien je clin d'oeil et souris et puis après le coude, je souffle à grande forge, éponge la sueur et traine mes abatis.
Et puis il y a lui. Qu'importe le soleil et qu'importe la pluie. Tout vêtu de vieilles nippes il est tout prosterné. Il vient des quatre-vents et peut mettre des heures. Il est du matin, du midi et du soir tout habillé de noir il ploie sous un grand sac et de ses deux béquilles patiemment il avance. Quand je fais une boucle il progresse d'un peu. De presque rien mais il y met du sien. Alors je file la passerelle, redescends la grande rampe déboule sur les pavés passe devant l'oeil ignore le sein droit et les jeunes amants tente de ne pas trainer et le retrouve en haut. Combien de marches ? Cinq à tout casser. Cramponné à ses cannes le monde peut s'écrouler. Il avance. A ses pieds des baskets, souvent dépareillées, et puis dans sa besace d'autres encore et des chiffons. Il doit porter sa vie, ses souvenirs, sa maison ou peut-être qu'il n'a rien, que l'envie de penser qu'il part en grand voyage au bout de l'escalier. Et les heures y passent et il me dit "bonjour !" d'une voix calme et claire qui invite au partage. Alors je ralentis et puis j'éteints ma montre, pas d'allure et plus de performance, le temps peut se figer. Placée à sa hauteur nous discutons un brin, le temps de quatre marches nous parlons de ces lieux de ceux que l'on rencontre des heures les plus belles et je compte les marches il n'en reste que sept l'espace d'une vie entière dans les pas de ce vieux et je lui dis enfin, mais vous êtes incroyable à gravir ces hauts lieux avec tant d'insistance et un tel courage. Il s'arrête un peu, accroche bien la rampe et péniblement se hissant sur la septième marche me dit en souriant
"c'est parce que je m'entraine !" 



Entrainement 6h solo Ultra boucle de la Sarra. 
Monsieur de Lange y sera. A la septième marche ou aux quatre vents. 
 Bénévole passe ailes.

mercredi 4 avril 2018

Ventoux Mont Amour

Le froid tombe. Sec et brutal. La fringale qui me tient depuis le départ est mouchée par la brulure de mes doigts gourds. Je passe des manches longues sur mon léger t-shirt. Nous montons déjà depuis longtemps, je lève le nez enfin sur ce brouillard qui coiffe le sommet et je souris.
Voila. Je t’attendais.
Le Ventoux. Et j’ai huit ans. Dix ans peut-être. Quel âge je ne sais mais de monter de mes petites pattes plantées de gros godillots qui grincent mordent et ampoulent je me souviens. C’est si net si clair, à ce point lumineux que la brume peut ne jamais se lever je le regarde ce sommet de mes yeux bleus baignés de trop de soleil de sueur et de larmes un peu.
C’était un besoin, une envie irrépressible. En passant au large parfois je lui lançais un rendez-vous prochain. J’avais marché les Pyrénées dans les pas de mon père, les volcans en Auvergne, des alpages ou des vallées de merveilles, mais le géant de Provence, minéral et sévère, de toutes mes randonnées d’enfance fut la plus marquante. Je voulais y aller, lui dire combien je l’ai aimé, de toute sa brutalité, sa beauté dépouillée de dôme minéral et de sa terrible montée de caillasse frappée de ciel blanc à faire soif à en crier.
Je ne suis pas préparée. 150 kilomètres courus sur ma double Sainté m’ont marquée physiquement. J’ai envie de trotter mais mon genou droit tire. Arrêt total. Le premier de ma courte vie d’ impertinente coureuse. Je reprends doucement un mois avant la course, mais le temps me rattrape et je case des tours au centre d’une vie bousculée de quelques kilomètres de plat ou d’un, deux escaliers, mais enfin de rien presque et je ne m’en fais pas. Je veux le voir et enfin j’irai. Quoi qu’on en dise. C’était une promesse, une réminiscence de petite fille qui confie le secret à son amie qui, sur le point de devenir étoile lui dit pour moi, s’il te plait. Fais le aussi.
J’ai peu dormi. Et puis la famille m’accueille et la soirée fut douce, joyeuse et un peu arrosée. C’est que la Provence chante toujours, qu’il fasse clair ou gris. Je me lève en silence, clos la porte sur la maison qui dort et avale en chemin vite fait et sans penser, deux bananes, trois raisins, une barre de céréale et de l’eau par gorgées.
Le Ventoux est absent. On ne voit que le ciel et l’horizon oscille entre maussade et blond.
Je n’ai rien préparé. J’ai un coupe-vent jeté dans mon sac. Deux flasques. Des gants. Et puis j’ai mes bâtons, un cadeau de mon homme, des superbes, en carbone que je sors de la boite pour la toute première fois.
Nous sommes 1200. Je perçois le niveau avant de voir courir. Derrière un important plateau d’élites, le groupe est à la hauteur de la réputation du trail. Exigeant et technique. Il partira rapide.
Le premier kilomètre éclate l’escadrille. Je pars au centre. Sans réfléchir, et je pars vite.
Les terres rouges de Bédouin et ses cinq kilomètres de sable pourpre de monticules et de creux imposent un rythme plus raisonnable. Le tempo est donné et il changera peu. Les crêtes de la Madeleine nous offrent une terre plus stable, mais à notre droite dans chaque virage, c’est le vide et derrière, les coteaux de Provence tout pointillés de verts d’ocres de taches jaunes et de marrons glacés soulignés des sarments des vignes encore vierges encadrées de cyprès qui pointent dans le vent et font toujours les fiers dessinant des virgules sur les basses cultures.
Il fait chaud et j’ai faim et que c’est bête enfin de n’avoir pas mangé, comme si je me lançais dans le tour du quartier. Je pense au plat de pâtes que j’aurais du prévoir et au lieu de cela, à dix kilomètres à peine de mon point de départ je gargouille et je râle et calcule le temps qu’il me faudra courir avant le ravitaillement. On traverse trois routes famille et assistance accueillent les coureurs. Ils ne les verront plus qu’après la redescente, il neige juste après le lacet et la route est fermée. Nous sommes à 1100. Deux tables sont dressées. Je m’arrête et empoche une poignée de pâtes de fruit et gobe des bananes. Il en faut peu vraiment. Très peu. Pour être heureux et je repars. Dans le virage elle tache blanc, c’est discret juste épars, un présage, une discrète signature, mais le froid plus loyal, sans prendre de détour annonce brutalement le défi à venir. La neige s’étend bientôt par plaques et dans les épingles en montée les torrents de caillasses sont enrobés de glace. J’ai sorti mes bâtons, et ferme sur la dragonne je plante le sentier en martelant la danse. Un deux trois un deux trois je lance mon métronome, il ne me quittera plus de cette longue pente.
La forêt est derrière. Nous avançons en ligne. Je suis plutôt rapide, de ma marche forcée, le blanc recouvre maintenant le devant les côtés, nous sommes dans un hiver qui n’a jamais cessé. Je monte, c’est ce que voulais. Le chemin est damé, il est vraiment facile. Je grimpe sans difficulté et je savoure le calme. Un coureur se cale sur mon rythme à côté, nous échangeons trois mots, comme lors d’une promenade. Au dessus dans le blanc la file fait des pointillés et les meilleurs déjà ont atteint le sommet.
Je plisse les yeux sur l’intensité du blanc. Les maigres arbres tordent leurs bras d’écorce d’albe, on dirait qu’ils appellent en se vrillant de vilains doigts au bout de membres grêles tandis que fouette de plus vif le grésil pointu arraché de la terre. En arrivant sur le sommet j’endosse une couche supplémentaire. Chaque geste est maladroit et les rafales nous giflent tant que s’arrêter est une prouesse. Derrière le pic c’est le dévers, je pousse un cri de victoire en basculant de l’autre côté et c’est le noroît qui me répond en une bâfre réfrigérante tandis qu’au sol rampent des giclées de neige soulevées de bourrasques qui viennent faucher les jambes. Le col des tempêtes nous fait son plus bel accueil et je jubile moi du haut de mes huit ans et quelques, qui suis venue pour lui dire combien je l’aime, moi non plus.
Durant cinq kilomètres nous longeons les crêtes, la neige est si épaisse et le vent si perfide, qu’il est nécessaire si l’on veut avancer, de ne pas chercher à placer ses foulées. Nos pas sont des sauts de cabri et parfois de la horde je décroche de droite ou gauche, tenant ferme mes bâtons qu’une rafale plus hardie peut sans prévenir balancer dans les jambes du voisin, ou pire, ou plus cocasse c’est selon de quel côté on se place, dans ses propres guiboles pour une rigolboche disgrâce.
Je dévale de bonne grâce, refaisant à l’envers la trace entre les poteaux rouges qui balisent la face sud que j’ai montée jadis dans les pas de papa et je suis si bien sous ces bourrasques rudes que je m’amuse de tout, d’une bosse, d’une ornière, d’un creux inattendu sous la croute de neige et de ces fantomatiques formes dont le vent et la glace ont coiffé les piquets et les arbres éparses.
A m’amuser ainsi je ne vois passer ni le temps ni le tempo des kilomètres qui déroulent. J’arrive un peu sonnée sur un ravitaillement et je constate presque, un peu, oh à peine mais tout de même dépitée que le sommet est passé et que j’aurais voulu c’est vrai, et c’est un peu contradictoire, y rester plus longtemps. Je file, et sans me retourner, je lui lance au mont chauve, que j’y reviendrai !
Les vingt kilomètres permettant de contourner le mont par le flanc sud sont une récréation. Je suis parfaitement à l’aise dans un train qui ne traine pas. C’est un jeu entre le devant et le derrière, on passe, on se fait dépasser et puis on repasse, et à grignoter un peu, de place en place je trace, courant mes descentes, ahanant mes montées, toujours à bon rythme, sur cette longue route qui ne cesse de plonger dans des vallons serrés pour en gravir dans la foulée d’instables pierriers ou des forets cabossées.
C’est la Provence que nous foulons à nouveau, en l’espace d’une dégringolade je glisse d’une intensité vierge radiée de frigides éclaboussures en un paysage minéral et glaise fouillé de racines et de broussailles épaisses.
Jamais je ne me lasse, et cette course est hors du temps. Je ne suis ni dans la compétition, ni dans la résignation, je navigue à l’envie et la facilité me va bien. Je n’ai aucune notion de ma place, ni de ce que courir le Ventoux facilement peut prouver. J’ai toujours aimé marcher et courir, et souvent l’on me dit, avec un sourire amusé « quand tu marches Sophie, nous derrière tu sais, on court » Je trace, et j’en ai cruellement besoin. J’ai eu besoin de prouver, j’ai envie d’avancer. Cette course nature me fait du bien, et j’aime infiniment cette petite piqure injectée d’une quadrille qui susurre juste « avance avance, ne t’arrête jamais » un garde-folle ou protège-forcenée, un cocon invisible qui me permet d’être libre, sans crainte de lâcher.

J’arrive en 7h15, dans une première moitié de peloton étiré sur plus de 5 heures d’accessions continues. Je reviens d’une sublime balade, et en levant les yeux, vers un Ventoux décapité d’orages, je lui promet, et à l’étoile de son sommet, que j’y retournerai, et la main dans la mienne, une petite fille de huit ans, dix ans peut-être, qui l’aimera je le sais, de toute sa brutalité et de sa beauté dépouillée, minérale et sévère et pourtant, hiver comme été, couronné de lumière et de secrets bien gardés.

Trail du Ventoux 2018 48 km 2300 D+

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